Hommage à Jeannot Turcotte
Texte de l'hommage rendu à Jeannot Turcotte par Catherine-Élisabeth Loiselle, cheffe du Choeur du Musée de la civilisation, lors du lancement du CD Choriste corps et âme au Musée de la civilisation de Québec le 30 novembre 2021.
L’étymologie du prénom Jeannot vient de l’hébreu et signifie : Dieu fait grâce. Dans le christianisme, la grâce est une aide accordée aux hommes, mais elle correspond aussi au pardon, à l’affection, à l’amour et à la bienveillance. Notre Jeannot incarnait définitivement à merveille son prénom…
Parce que Jeannot était l’ami de tous. En 18 ans d’amitié musicale, jamais je ne l’ai entendu critiquer, se plaindre, ridiculiser ou jeter des émotions négatives sur autrui. Au contraire, l’écoute active étant l’une de ses principales qualités de musicien, elle se transposait également dans ses rapports humains. Chaque choriste pourrait en témoigner : Jeannot était apprécié, voire aimé de tous ceux qu’il croisait sur son chemin. Complice du pupitre des sopranos (non seulement parce que son piano était situé tout à côté du pupitre, mais aussi parce qu’il aimait entendre les sopranos pour s’inspirer et créer de superbes accompagnements), complice donc, il fallait voir les rires et les rigolades qui pimentaient nos répétitions. À rendre jaloux les autres pupitres!
J’aimerais ici emprunter une phrase de notre bien-aimée présidente Denise : Jeannot était un musicien aux doigts humoristes! Pince sans rire, ce n’était pas seulement en paroles qu’il distillait généreusement son humour, également en notes! Une bouffonnerie de basses trouvait toujours sa répartie pianistique ou sa chanson thème que nous entonnions en chœur. Une demande de coloration sonore de ma part, Jeannot accompagnait mes loufoques explications de trilles et de mélodies à propos. Qu’est-ce qu’on pouvait rire dans une seule répétition! Nous l’appelions affectueusement notre «JukeBox» national. Il connaissait tous les thèmes possibles et inimaginables de chansons qu’il pouvait se mettre à improviser joyeusement. C’était notre Gregory Charles à nous!
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Et… quel musicien! Que dire de la sensibilité de ce pianiste hors norme. Car Jeannot était réellement doué. Sa polyvalence était incroyable : extraits d’opéra, messe classique, chanson française, toune pop, jazz… une main, deux bras, quatre membres, quoi qu’il fasse, c’est un orchestre entier qu’on entendait. Il savait aussi colorer d’une façon très personnelle les textes de nos chansons. Sous ses doigts, la musique devenait caresse, gouttes d’eau, chant d’oiseau, rires d’enfants, clochettes ou tonnerre.
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J’ose ici vous partager un moment de pure émotion musicale que j’ai eu le bonheur de vivre avec Jeannot. Ayant travaillé ensemble avec la chorale Échos d’Arcadie, moi à la direction, lui à l’accompagnement, nous avions développé une version personnelle de la chanson Évangéline de Michel Comte. Lors de la tournée que nous avons faite en Acadie en 2009, un soir, dans une chapelle pleine à craquer, sous une canicule, nous avons interprété cette chanson. Jeannot était tellement présent, chaque phrase du poème recevait une couleur de son piano, chaque émotion d’Évangéline, même ce moment où son Gabriel meurt dans ses bras, était transcendée par son interprétation. J’utilise ce verbe intentionnellement : Jeannot était toute musique et toute lumière. À la fin, personne, absolument personne n’avait les yeux secs.
Je vous partage aussi l’une des choses qui m’impressionnaient de Jeannot, mais qui ne paraissait pas aux yeux des néophytes. Jeannot n’avait jamais besoin de quelqu’un pour tourner ses pages… comment faisait-il?! Il pouvait occuper l’entièreté des 8 octaves du piano en même temps, entendre chaque précision, justesse ou injustesse des choristes, et aider si nécessaire, suivre toutes les demandes de la direction à l’avant , veiller aux musiciens autour de lui lors des concerts et… tourner invariablement ses pages au bon moment et ne JAMAIS tomber à côté?!?!?! Jeannot est le premier pianiste et à ce jour le seul que j’ai vu travailler avec un cartable, donc qui n’étalait pas ses pages sur le lutrin, et qui tournait seul toutes ses pages! Lucky Luke tirait plus vite que son ombre, Jeannot tournait ses pages plus vite que l’éclair!
Au final, nous sommes doublement heureux que nous ayons pu immortaliser les accompagnements de Jeannot sur notre disque. C’est son héritage qu’il nous laisse. Ce fut très difficile et souvent triste d’écouter chacune des prises, avec ce jeu pianiste si coloré, si unique, et d’une constance désarmante, et devoir faire des choix sans sa présence pour me dire ses préférences. J’espère que, de l’autre rive, tu es fier du résultat. De notre côté, on est très fier et honoré d’avoir chanté à tes côtés.
Salut l’ami!